LE TRES JOLI CONTE DU COMPTOIR DES MARRONNIERS

Par Claire Le Meur, DG de Blue Bees.

 

Les Bees sont allées interviewer Marjorie Koutnouyan, qui leur a ouvert les portes de son restaurant situé en plein cœur de Lyon, rue des marronniers, à une encablure de la place Bellecour : Le Comptoir des Marronniers. Voici sa formidable histoire entrepreneuriale…

Claire Le Meur : Comment débute l’aventure du Comptoir ?

Marjorie Koutnouyan : Tout commence avec ma maman. Elle avait la brasserie de l’Espace Carnot et, à son grand malheur, je ne voulais pas reprendre l’affaire… Ce n’était pas quelque chose qui me correspondait. Cela a été le drame de sa vie pendant longtemps !

CLM : C’était il y a combien de temps ?

MK : C’était en 2009. Elle a vendu l’Espace Carnot qu’elle avait acheté en 1998.

CLM : En 2009, vous ne deviez pas être bien vieille pour reprendre une pareille affaire ?… L’Espace Carnot est un établissement de taille conséquente.

MK : En fait, j’avais 24 ans. Mon père était un peu un « loulou » qui avait dit à ma mère « ne t’inquiète pas, j’achète un hôtel, je m’occupe de tout et c’est ce que je laisserai aux enfants en héritage ». Au bout de deux ans, il avait accumulé beaucoup de dettes. A l’époque, je travaillais avec ma mère à l’Espace Carnot. Le comptable l’a alertée des problèmes financiers que rencontrait l’hôtel, en lui indiquant que si elle mettait sa fille sur la gestion de l’hôtel, elle arriverait à corriger la situation. Donc, à 24 ans, j’ai repris la direction de cet hôtel qui était en perdition avec 150 000 € de dettes et j’ai tout remonté.

CLM : Quelle formation aviez-vous à l’époque ?

MK : Un BTS immobilier. Puis j’avais travaillé avec ma mère dans la restauration. Ma mère était très sévère – comme tous les parents qui travaillent dans la restauration, rien n’est offert, il faut le gagner. Mais cela ne m’a jamais empêché de bien vivre !

CLM : Quelle était la capacité de l’hôtel ?

MK : C’était un hôtel qui avait 22 chambres. L’hôtel Soleil et Jardin à Solaize. Nous organisions beaucoup de séminaires et travaillions beaucoup avec le couloir de la chimie. Sauf que ça ne me plaisait pas : j’avais viré le veilleur de nuit donc je faisais les nuits. Je faisais aussi le petit-déjeuner, le service du midi, le service du soir et je m’occupais de la gestion globale de l’hôtel.

CLM : C’était du non-stop !

MK : Oui, il y avait des gens qui me disaient « mais vous dormez quand ?! ». Parfois, je faisais des mariages, je servais jusqu’à 5h00 du matin et à 7h00, j’attaquais pour le petit dèj. En revanche, j’avais dit à ma mère « j’ai sorti l’hôtel du rouge, c’est bien. Mais j’ai 24 ans, je ne peux pas rester enfermée là 24/24 ». Du coup, on a vendu. Et ma mère m’avait dit « tu as sauvé l’hôtel, je t’aiderai à acheter un restaurant qui te convient ». Sur ce, elle a donc vendu sa brasserie puisque je ne voulais pas la reprendre – elle m’en a voulu pendant 4 ou 5 ans (rires).

CLM : Et pourquoi ne vouliez-vous pas reprendre la brasserie ?

MK : La clientèle de brasserie n’est pas une clientèle qui m’attire. C’est un peu de l’abattage, de l’argent pour l’argent. En termes de nourriture, cela reste de la brasserie. Ce que j’aime ici, au Comptoir des Marronniers, c’est que c’est un endroit où l’on mange bien, sans que cela soit guindé. Nous sommes dans le même type de catégorie que les brasseries Bocuse mais cela reste convivial. C’est ça que je voulais faire. J’ai donc cherché un restaurant à acheter. J’en ai visité plusieurs. Ma mère était toute jeune retraitée et être en retraite ne lui plaisait pas du tout. De mon côté, je ne trouvais pas ce que je voulais. Ma mère m’a dit : « et si je te donne un peu plus et que je travaille avec toi le midi, ça te va ? ». J’ai dit OK. J’avais l’habitude de travailler avec ma mère. Elle m’a donc aidé pour que je puisse acheter un établissement un peu plus gros, en venant travailler avec moi.

le comptoir des Marronniers - l'intérieur

CLM : C’était une belle proposition !

MK : Oui, sauf qu’à force de chercher sans trouver et d’attendre trop longtemps, j’ai fini par tout voir en noir. Rien de ce que je visitais ne me plaisais, j’étais convaincue que ça ne marcherait pas. Je me dis que finalement, vu que je n’ai travaillé qu’à mon compte, en me formant sur le tas, il serait peut-être bien que j’aille travailler ailleurs, pour quelqu’un d’autre. Pour voir d’autres méthodes de travail, découvrir des choses à apprendre. J’ai donc travaillé aux « Enfants Terribles », rue Mercière. Ensuite, je suis allée travailler au « Bon Bourgeois », rue des Marronniers, qui était tenu par un ami de mon beau-père, directeur de France-Boissons à l’époque. Pour une Lyonnaise, c’était honteux : j’habitais Place Bellecour et je ne connaissais pas la rue des Marronniers (rires). Le restaurateur, Franck Baldassini, membre des Toques Blanches Lyonnaises était quelqu’un d’extraordinaire qui m’a appris beaucoup. Il avait également le comptoir des Marronniers, qu’il avait racheté à Jean-Paul Lacombe en 2009. Franck avait une forte personnalité. Il a commencé par me dire « normalement, je ne prends pas de femmes, mais toi, tu as l’air d’être différente, je vais quand même essayer ».

CLM : Vous avez donc intégré son équipe ?

MK : Oui ! Ça se passait très bien. Un jour, il m’a demandé d’aller donner un coup de main au Comptoir des Marronniers, situé presque en face, car il leur manquait un serveur. Sans mentir, j’ai poussé la porte et je suis restée émerveillée. J’adorais l’ambiance, j’avais l’impression d’être chez moi ! Il venait de recevoir une démission… J’ai demandé à lui parler et lui ai expliqué que j’aimerais intégrer l’équipe du Comptoir. Il m’a traitée de traître car je voulais aller travailler en face (rires). Je lui ai dit qu’étant donné que les deux restaurants lui appartenaient, cela ne changeait pas grand-chose… Sauf que lui n’aimait pas le Comptoir. J’ignore pourquoi. Il avait des soucis avec le directeur en place qui devait s’absenter pendant un mois et demi et m’a proposé de prendre sa place. Je lui ai dit « OK, je prends sa place mais je prends sa paye aussi ! ». On a tapé dans la main. Au bout du mois et demi, j’ai dit à Franck que vu qu’il avait deux restaurants dans la rue, il pouvait bien m’en vendre un… Il avait acheté le restaurant à peine deux ans avant et a donc refusé. J’ai insisté. Le directeur est revenu et ça ne se passait pas bien. Peu de temps après, Franck m’a dit « fais-moi une proposition ! » Mais nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur le prix. Et mes relations avec le directeur devenaient tendues car il avait appris que j’avais fait une proposition d’achat. J’envisageais donc de partir, de finir la saison et de partir en septembre.

CLM : Vous avez effectivement démissionné ?

MK : Oui ! et je suis allée travailler au « Bistrot des Maquignons », Grande rue de la Guillotière. C’était un restaurant extraordinaire, qui faisait beaucoup de chiffre. J’étais très étonné de trouver un pareil établissement à cet endroit-là. Puis, de temps en temps, je revenais voir Franck… Un jour, il m’a demandé si je voulais toujours acheter. Je lui ai dit que ma proposition tenait toujours. Nous avons tapé dans la main et il m’a proposé de signer dans la semaine.

CLM : Et vous avez réussi à signer dans la semaine ?

MK : Oui, je lui ai mis un peu la pression (rires). Nous avons signé fin septembre 2011 pour une ouverture au 1erdécembre, pour que je puisse faire la Fête des Lumières, le 8 décembre – c’est un moment majeur de l’année pour un restaurant. Cela laissait octobre et novembre pour lancer le restaurant. J’ai activé tout mon réseau et nous avons réussi ! Cela va faire 11 ans. J’ai réussi à accomplir mon rêve !

CLM : Ici, le profil de votre clientèle, c’est quoi ?

MK : J’ai une grosse clientèle d’affaires. Avant le Covid, j’étais sur un ratio de 70% de notes de frais. Là, je suis passée à 50/60 %. Mais cela reste très important en proportion.

CLM : Et lorsque vous êtes arrivée, en termes de menu, vous avez changé la formule ou conservé ce qui existait ?

Une assiette au Comptoir des MarronniersMK : J’ai conservé ce qui existait. J’ai retravaillé un peu la poitrine de cochon qui est notre spécialité. On reste sur de la cuisine lyonnaise moderne. Nous ne sommes pas un « bouchon ». Nous n’avons pas les petits rideaux à dentelle (rires). C’est bien de garder les traditions mais nous avons quand même des plats autres – notamment pour la clientèle touristique. Il faut savoir que la rue des Marronniers est l’une des rues les plus vieilles de Lyon. Elle a été tracée au début du XVIIIème siècle, lors de la construction des immeubles situés à l’est de la place Bellecour.

CLM : Et comment avez-vous fait pour trouver votre équipe, une fois le restaurant acheté ?

MK : Les 4 premières années, j’étais là 7 jours sur 7, midi et soir. Je prenais seulement une semaine de congés par an – je fermais juste la semaine de mon anniversaire, le 8 août ! Je fidélisais – j’ai plutôt le contact facile. J’essayais d’aller au-devant des problèmes, je n’attendais pas. Mes équipes me voyaient travailler avec eux et comme eux. Aujourd’hui, en salle, il y a moi avec deux serveurs en semaine et j’ai un serveur de plus le week-end. S’il y a du monde, je cours comme eux ! Depuis le début, j’ai eu trois équipes. Une équipe dure environ trois ans.

CLM : Pourquoi une équipe dure-t-elle seulement trois ans ?

MK : Dans notre rue, il n’y a jamais de répit… Nous sommes ouverts tous les jours. Dimanche soir, par exemple, nous avons fait 130 couverts. Lundi, idem. On ne sait jamais ce qui va arriver. Donc c’est usant. Ceux qui restent chez moi sont de vrais passionnés ! Mon équipe actuelle est là depuis 4 ans.

CLM : En tout, entre la cuisine et le service, combien êtes-vous ?

MK : 14 personnes. C’est une belle équipe à gérer. Et je viens de racheter un restaurant en face, « La Cantine des Lyonnais ». Mon chef et mon second ont basculé sur ce nouveau restaurant et nous sommes en train de reformer une équipe solide. C’est un rythme sportif… Il faut tenir ! Nous avons une obligation de qualité, aussi. A Lyon, il y a beaucoup de restaurants où l’on mange bien. On ne peut pas se permettre de mal accueillir ou de mal servir. Nous travaillons avec des produits de qualité. Ainsi, nos légumes viennent de chez mon frère, qui fait de la permaculture. Parfois, nous allons nous-mêmes ramasser les légumes chez lui, ferme de la Brochetière à Dardilly, avec mes cuisiniers. Ils cuisinent tout cela le soir même ! Alors qu’à Avignon, par exemple, où j’ai habité un moment, l’offre de restauration était très pauvre. C’est plus facile de se démarquer. Puis nous accueillons les gens jusqu’à 22h30. C’est assez rare, à Lyon. Et les gens sont aussi bien reçus, quelle que soit l’heure ! J’ai entièrement confiance en mes équipes pour cela. Par exemple, mon autre chef de salle, Rafik, a eu son propre restaurant. Nous avons travaillé ensemble au Bon Bourgeois. Et il est, comme moi, tombé amoureux du Comptoir des Marronniers, où il a fait son apprentissage.

CLM : Et comment faites-vous pour gérer deux établissements en même temps, même s’ils sont situés quasiment l’un en face de l’autre ?

MK : Je suis bien entourée… J’ai une équipe formidable. Pour l’anecdote, le Comptoir des Marronniers était l’un des restaurants les plus populaires, avant-guerre. Pour y manger, il fallait faire la queue jusqu’au bout de la rue !

Assiette dressée au Comptoir des Marronniers

CLM : Et la suite de cette belle aventure, c’est quoi ?

MK : La suite… J’ai enfin trouvé un accord avec mon propriétaire pour acheter les murs ! C’est quelque chose que j’attendais depuis un moment… Mon chef de cuisine passe chef de salle associé, au Comptoir des Marronniers, et en face, à la Cantine des Lyonnais, le chef de cuisine passe chef de cuisine associé. Ensuite, je pense que je vais encore continuer quatre ou cinq ans mais je crois que je ne ferai pas plus. Je n’ai plus la même énergie que lorsque j’avais 30 ans (rires). J’aimerais bien retourner dans l’immobilier et vendre des cafés-hôtels-restaurants. Rester dans le milieu, en apportant un rôle de conseil, mais sans une vie totalement décalée. Je ne suis jamais couchée avant 2h30 du matin, presque 7 jours sur 7. Parce qu’il y a aussi toute la partie gestion et facturation, après le service… Même si j’aime le travail – et le travail bien fait ! J’ai aimé tous les métiers que j’ai exercés. Mais ce qui est difficile, par exemple, maintenant, c’est de ne plus trouver personne pour travailler… Je suis très inquiète pour le métier de la restauration. La salle ne m’inquiète pas car je peux gérer le service avec des étudiants. Pour la cuisine, c’est une autre histoire… On ne tient pas un restaurant sans cuisinier, sans chef ! S’il n’y a pas transmission de savoir, le métier disparaîtra… C’est dommage car c’est un métier fabuleux.

CLM : Et dans lequel vous pouvez vous enorgueillir d’une belle réussite !

MK : Oui, c’est une belle victoire et je me suis battue pour l’avoir.

Les Bees remercient Marjorie pour cette fabuleuse histoire et conseillent à tous les gourmands de faire escale au Comptoir des Marronniers… Les Bees, qui accompagnent cette chef d’entreprise hors pair dans le développement de ses projets, trouvent toujours une bonne excuse pour s’attabler au Comptoir et savourer les spécialités du lieu !