Cinéduchère, Une belle histoire du 7e art !

Par Nicolas Lepage, Gestionnaire de paies chez Fifty Bees & Claire Le Meur, DG de Blue Bees

 

Cette semaine, les Bees sont allées à la rencontre de Georges Sothier et Emmanuelle Bureau, qui dirigent avec passion le CinéDuchère, cinéma d’Art et Essai niché dans le 9ème arrondissement de Lyon, qui célèbre cette année les 25 ans d’une belle aventure…

Claire Le Meur : Pouvez-vous nous parler de l’histoire de ce lieu étonnant ?

Georges Sothier : À l’origine, en 1992, j’avais un petit restaurant à La Duchère, qui n’existe plus désormais. Nous avions transformé un local d’école qui n’était plus utilisé, en restaurant. Il s’appelait La Foucade. C’était un restaurant de journée où tous les travailleurs sociaux venaient manger. À la fin, nous avions 70 couverts tous les jours. Le sous-préfet à la ville, le délégué de la DRAC venaient manger régulièrement. Nous étions 4 personnes et un apprenti. Puis on m’a contacté pour monter un cinéma, à La Duchère. Je me suis dit pourquoi pas, ce serait vraiment chouette !

CLM : Pourquoi vient-on contacter un restaurateur pour monter un cinéma ?!

GS : (rires) En fait, nous avions monté le resto sur des fonds sociaux, sur le développement social des quartiers, à l’époque. Nous étions le « volet social » de toute La Duchère. Il n’y avait rien d’autre. Nous étions le point de ralliement. Nous avions des liens avec la bibliothèque et c’est une personne de la bibliothèque qui m’a contacté. Nous faisions également des soirées musicales.

CLM : Donc il y avait déjà un volet culturel dans cette aventure…

GS : Voilà, c’est cela. Nous avions aussi eu l’idée de créer un lieu de répétition pour faire venir des artistes mais cela n’a jamais vu le jour. Le cinéma faisait partie de mes passions avec la chanson et la musique.

CLM : Vous êtes musicien ?

GS : Je suis chanteur ! Malheureusement, je ne suis pas musicien… Je chante beaucoup de chanson française. Brassens, Brel, Anne Sylvestre. On m’a donc contacté pour le projet cinéma avec une certaine logique. Nous avons commencé par mener des réunions au restau en 1993. Nous avons fait un sondage auprès des habitants de La Duchère, en leur demandant de nous citer les 3 films qu’ils avaient envie de voir. Lorsque le cinéma serait ouvert, nous passerions les 3 films qui auraient eu le plus de succès ! Pendant deux ans, nous avons cherché des lieux. Nous avons pensé à un gymnase, à côté d’une école, d’autres lieux également.

Nicolas Lepage : On vous avait contacté pour monter un cinéma, sans aucune idée de lieu ? C’est surprenant…

GS : Et oui ! En 1995, sont arrivés les projets européens de la transformation de La Duchère, dans la foulée de la politique de la ville. Il y avait un programme qui s’appelait FEDER qui finançait des projets dont celui qui allait nous servir : une église des années 70 venait d’être désacralisée pour diffuser du cinéma en 3D, dans le cadre d’un projet destiné aux enfants. La structure s’appelait Captiva. Il y avait, dans le hall, une énorme fourmi, un chantier avec des briques en mousse etc. L’idée était de constituer un mini « Villette », comme à Paris. Le cinéma tournait environ 3 fois dix minutes par jour.

NL : Pourquoi aussi peu de temps ?

GS : Parce qu’il s’agissait de groupes d’enfants que l’on accueillait et à la fin de la visite de l’exposition, qui durait environ une heure, on leur passait dix à 15 minutes de court-métrage en 3D. Le problème est qu’ils n’arrivaient pas à remplir. La diffusion maximale était de 5 passages dans une journée, jusqu’à cinq heures de l’après-midi. Le lieu étant fermé le soir, nous nous sommes dit que nous pourrions peut-être passer quelques films… Comme nous avions une association, d’une quinzaine de personnes, nous avons pu échanger avec la mairie, qui a beaucoup rechigné puis finalement accepté. Notre première séance a eu lieu le 8 mai 1996.

NL : Quel est le premier film que vous avez projeté ?

GS : Toy Story. C’était une réussite tout de suite (rires). D’autant qu’il n’y avait plus de cinéma à La Duchère depuis 1975. D’entrée de jeu, nous avons eu du monde… Le film venait de sortir.

CLM : Mais pourquoi la mairie était-elle initialement réticente au projet ?

GS : Parce que la culture n’était pas leur sujet majeur… Ils se concentraient sur ce qui était devenu le développement social urbain, essentiellement concentré sur la réfection d’immeubles, sur l’immobilier. Le reste les intéressait très moyennement.

NL : Il devait donc y avoir très peu de vie dans le quartier.

GS : Non, il y a toujours eu de la vie dans ce quartier. Car il y avait deux centres sociaux, une maison de l’enfance, une MJC, la bibliothèque. Dans le projet FEDER, il y avait par exemple la maison Lego. Ils avaient mis une montagne de Lego dans une salle et les enfants venaient pour construire des choses. Je ne sais pas ce que sont devenus ces Lego ! Il y avait aussi un projet de brasserie. Notre restaurant avait fermé en 1995 et j’avais fait une proposition pour reprendre cet établissement en mauvais état, pour le même prix que le projet de brasserie. Nous avions prévu de refaire le bâtiment. Notre projet n’a pas été retenu, malgré le soutien du sous-préfet à la ville et du maire d’arrondissement de l’époque qui s’appelait… Gérard Collomb.  Mais les fonds allaient au projet FEDER. Le projet de la brasserie a duré 6 mois… Le quartier dans lequel la brasserie s’était installée était compliqué… On ne s’installe pas comme ça à La Duchère !

CLM : Donc vous démarrez l’aventure cinéma en 1996…

GS : Oui ! Malgré le scepticisme de la mairie. Arrive 1998. D’un seul coup, nous n’avons plus de directeur… Le groupe qui avait constitué en partie le cinéma décide de lâcher le projet pour s’investir dans un projet de cinéma de recherche- ce qui ne convenait pas du tout au contexte de La Duchère. C’est ainsi que je me suis retrouvé bombardé président du cinéma (rires). Nous nous sommes retrouvés à trois : Marie, qui est toujours notre comptable, un projectionniste et moi ! Nous avons avancé comme ça pendant quelques mois. Puis sont arrivés les emplois-jeunes, en septembre 1998. Nous recrutons un jeune de 29 ans : Sami Bouguerch. Il est devenu le premier ciné-médiateur ! C’était le titre que j’avais trouvé. En fait, il était directeur du cinéma (rires). Nous étions programmés par un groupe de l’est lyonnais qui regroupait Vénissieux, Bron, Saint Priest et d’autres cinémas. Ils faisaient une programmation commune pour avoir plus de poids. Le principe était qu’ils nous laissaient les rebus sans grand intérêt, après avoir fait leur choix (rires). Notre première avant-première était « Monsieur Frost », un film en « sortie technique ». C’est-à-dire qu’en gros, une semaine après sa sortie, le film était disponible en DVD !

Emmanuelle Bureau : Si l’on souhaitait un film spécifique en sortie nationale, chez un distributeur, il fallait prendre toute la liste, à l’époque… Par exemple, pour avoir LE grand film de chez Gaumont, il fallait prendre les mauvais films qui allaient avec. C’était une pratique assez curieuse qui date des débuts du cinéma.

GS : Ensuite, nous avons engagé un deuxième ciné-médiateur qui s’occupait des jeunes. Car le projet était réellement de faire de l’éducation à l’image. Sami était en maîtrise de cinéma et avait beaucoup de connaissances en matière cinématographique, beaucoup d’idées mais ne connaissait rien quant à l’organisation d’un cinéma. Il a émis le souhait de s’attaquer à la programmation. Nous avons donc dit « au revoir » au groupe et avons décidé de nous débrouiller tout seuls ! Et ça a marché ! Nous avons réussi à obtenir de jolis films malgré la petitesse de notre cinéma. Le gros changement a été en 2001, avec l’arrivée de Gérard Collomb à la mairie de Lyon. D’un seul coup, renversement de situation… Nos subventions doublent et les gens de Captiva, qui nous accueillaient en nous mettant systématiquement les bâtons dans les roues, deviennent très gentils… Le 24 décembre 2002, l’équipe Captiva part en laissant tout (y compris la fourmi géante !). Comme les lieux étaient vides, nous nous sommes installés dans les bureaux et avons continué comme ça. Nous avions signé des conventions, notamment grâce à Abel Gago, Maire adjoint à la culture et au scolaire, à l’époque. Louis Lévêque, qui était, quant à lui, à la mairie centrale nous a soutenus et permis de décrocher des fonds pour acheter un nouvel écran. L’écran existant était fait pour la 3D et « bouffait » la lumière. Nous avons pu aussi, grâce à ces soutiens, acheter du matériel pour des projections de film en extérieur. Sami m’avait proposé d’acheter du matériel, plutôt que de le louer. Nous avons donc pu acquérir notre indépendance en ayant notre propre matériel.

NL : Vous faisiez aussi des projections en plein air, en itinérant, donc ?

GS : Oui ! Nous faisions des séances en été, à partir de 22h00. Nous avons fait de superbes projections, notamment sur la terrasse de la MJC, avec une vue incroyable. Les films étaient gratuits, dans le cadre de « Tout l’monde dehors ». Il y a eu jusqu’à 300 personnes. C’était vraiment chouette. Mais nous avons revendu le matériel il y a quelques années car c’était du matériel pour du 35 mm. Cela ne fonctionne plus avec le numérique…

EB : Cela demandait également une équipe importante de bénévoles car il fallait transporter et installer tout le matériel. Nous avons fait la dernière séance avec une copie en 35mm en 2012. C’était mémorable…

GS : Ah oui ! (rires) C’était la projection de la Nuit du chasseur. Le film a cassé 15 fois au cours de la projection…

EB : Le film était arrivé dans un état déplorable. La copie avait été abîmée. Il avait fallu réparer le film à l’ancienne juste avant la projection. Malgré cela, le film n’arrêtait pas de casser.

GS : Et c’était assez drôle car à chaque fois que le film cassait, les 200 personnes présentes s’exclamaient d’un grand « Ooohhh » puis, lorsque la projection redémarrait, enchaînaient avec un grand « Ahhhh ». Chose incroyable, à la fin, lors de l’apparition des mots « The end », la pellicule a fondu !! Authentique ! Tout le monde a applaudi. C’était très exotique, cette dernière séance…

EB : Nous organisons toujours des séances en plein air mais à présent, nous travaillons avec un prestataire extérieur. C’est plus simple pour nous en termes d’organisation. Il faudrait avoir quelqu’un à plein temps, dédié au sujet, pour le gérer en propre.

GS : Nous aimons beaucoup ce cinéma populaire, tel qu’il était pensé au début, dans les années 30. J’ai le souvenir de ma mère qui me disait que lorsqu’elle allait au cinéma, à la Croix-Rousse – c’était un cinéma paroissial à l’époque, elle découvrait les actualités. Cela m’est resté dans la tête. A l’époque, les cinémas étaient pleins tout le temps…

CLM : Il faut dire qu’à l’époque, le prix d’une entrée était beaucoup moins cher. Une entrée de cinéma tourne facilement autour de 11€, maintenant. C’est beaucoup d’argent…

GS : Oui, sauf ici ! Notre tarif plein est à 6€70… Nous avons de nombreux liens avec des partenaires, aussi. Les Restos du Cœur, par exemple.

CLM : Vous venez de franchir un quart de siècle d’aventure… Que se passe-t-il au prochain quart de siècle ? Quelles sont vos prochaines idées folles ?

GS : En fait, la Covid nous a coupé dans notre élan… Le redémarrage est difficile. Nous avons tenté de nombreuses choses, néanmoins, lorsque nous avons été contraints de fermer à cause du contexte sanitaire. Nous avons organisé des jeux de cinéma, par exemple. On montrait un petit bout d’affiche et il fallait deviner le film. Ou, sur la base du jeu « a contrario », on faisait deviner un titre de film. La Nuit du chasseur pouvait devenir « le Jour du pêcheur », par exemple. Nous avons fait cela pendant plusieurs semaines. On donnait 7 titres avec 7 places en jeu pour ceux qui trouvaient tous les titres, 5 places si on en trouvait 5, etc. On a arrêté car les gens devenaient trop forts (rires). A la fin, les gens jouaient juste pour la beauté du geste. Nous avons fait de notre mieux pour animer cette période mais nous ne nous sommes pas plongés réellement dans la réflexion. Nous avions l’idée de créer une deuxième salle. Nous avions réalisé une plaquette qui raconte l’histoire du lieu et son devenir.

CLM : Une deuxième salle ici ?

GS : Oui ! Nous avons un premier projet d’architecte pour une seconde salle avec une capacité de 50 à 60 places – nous avons une capacité de 90 places dans la salle actuelle. C’est tout à fait réalisable. Nous avons commencé à rechercher des sponsors, contacté des gens pour faire une étude de marché. Nous avons échangé avec Sainte Foy Les Lyon qui est passé avec succès de 1 salle à 2 salles – ce qui leur a permis de tripler leur fréquentation. Ils ont autour de 90 000 spectateurs par an, maintenant.

CLM : Combien avez-vous de spectateurs ici ?

GS : Entre 20 à 25 000 spectateurs par an. Nous espérons relancer ce projet car la nouvelle mairie de Lyon a prévu de consacrer un budget pour notre lieu. Notre éventail de propositions, avec deux écrans, pourrait être plus large. Avec un écran, nous passons un film sur 5 séances seulement.

EB : D’autant qu’avec les gens du quartier, nous organisons des soirées débats à 19h00. Programmer un film à 21h00 derrière ne sert à rien. Une deuxième salle nous permettrait d’avoir une exploitation plus diversifiée de notre lieu. Cela nous offrirait de nouvelles perspectives et nous lancerait dans une autre dynamique.

NL : Il y a certainement une sorte de frustration, également, du fait de ne pas pouvoir projeter autant de films que vous le souhaiteriez…

GS : Absolument. Nous devons maintenant relancer la machine… Mais il y a une chose à prendre en compte. Moi, j’avais 38 ans lorsque j’ai lancé le projet. Nous étions tous dans ces âges-là. Et maintenant, je suis le plus jeune ! Nous n’avons pas trouvé de gens pour venir nous remplacer… Sami avait fait venir des jeunes, à l’époque, lorsqu’il était arrivé. Nous pensions qu’il y aurait une relève, du sang neuf. Il est parti pour développer un autre projet – un peu vite, il faut le reconnaître. Et les jeunes qu’il avait amenés ont suivi.

NL : Pourquoi n’avez-vous pas réussi à attirer d’autres jeunes ?

GS : Parce que c’est extrêmement difficile. La catégorie 15-25 ans est très compliquée à attirer ici. A l’époque, lorsque j’avais cet âge-là, je sortais réellement au cinéma, c’est-à-dire pour voir le film. Maintenant, les jeunes sortent pour sortir. Ils préfèrent aller au cinéma en plein Lyon, parce qu’il y a la ville autour. On peut aller boire un coup après le film… C’est pour cela que nous avons aussi l’idée, dans le cadre du projet de deuxième salle, de monter un espace où l’on puisse boire un verre, échanger après le film, prolonger le moment. C’est ce qui nous manque, pour l’heure ! Puis nous sommes essentiellement un cinéma Art et essai – nous évitons les « blockbusters ». Et c’est le cinéma qu’on aime ! Notre public correspond à cela. C’est le public « Télérama » (rires).

EB : Nous développons des partenariats, également. Avec les centres sociaux, par exemple, nous organisons des soirées-débats. Avec le Centre Social de la Sauvegarde, pour Halloween, nous allons organiser un escape game qui sera suivi de la projection de Candy Man… C’est la première fois qu’on essaye cela !

GS : Nous participons aussi au Festival Lumière, avec une projection. Puis nous avons prévu un week-end Bertrand Tavernier.

EB : Nous avons également notre petit public pour notre « CinéCollection », avec une ou deux projections par mois. Nous faisons un petit debrief avant le film. Et il ne faut pas oublier le public des scolaires, qui constitue 35% de nos entrées. Nous proposons pour chaque cycle (école, collège, lycée) des films pour éduquer les jeunes aux images, à raison d’un film par trimestre.

GS : Et, enfin, nous proposons, sur demande – avec les BTS, par exemple, des séances à la carte. Nous sommes heureux d’avoir un cinéma associatif qui fonctionne ! Nous avons, notamment grâce aux subventions, 6 salariés (projectionniste, médiatrice culturelle, comptable, dame de service). Plus une quinzaine de bénévoles qui s’occupent des caisses, de la mise en page et distribution du programme, etc. Il y a une réelle osmose entre les salariés et les bénévoles. Nous avançons tous dans le même sens, en suivant la même ligne directrice. Cela fonctionne très bien et depuis pas mal d’années. Emmanuelle est là depuis 14 ans, déjà ! Nous avons constitué une chouette équipe, qui est heureuse de venir travailler ici. Si les salaires ne sont pas mirobolants – il faut bien l’admettre ! (rires) – le projet est très intéressant.

CLM : Et quel est le profil de vos bénévoles ?

GS : Ce sont, à deux exceptions près, des dames ! Je suis entouré de dames (rires), pour la plupart à la retraite. Les caisses de l’après-midi ne peuvent, de toute évidence, pas être gérées par des gens qui travaillent. Nous avons une réelle réflexion collective. Nous avons envie de faire partager cette émotion populaire sans égal. Nous n’avons pas un objectif de chiffre, nous sommes des passionnés…

Merci à Georges et Emmanuelle pour ce formidable témoignage !

Les Bees sont heureuses et fières d’accompagner au quotidien le cinéma CinéDuchère et lui souhaitent de poursuivre la belle dynamique de cette aventure…

Photos © Simon Cavalier, Laurence Danière.